Venezuela, Equateur : manipulation de l’information
Guerre sournoise en Equateur, guerre totale au Venezuela
Maurice Lemoine
dans Mémoire des luttes
Equateur,
2 avril 2017 : au second tour de l’élection présidentielle, le candidat
de la « révolution citoyenne » Lenín Moreno (Alliance Pays ; AP)
affronte l’ex-ministre de l’économie (1999) et banquier
multimillionnaire Guillermo Lasso (Créons des Opportunités ; CREO)
qu’il a devancé au premier tour (39,36 % des voix contre 28,11 %).
Rafael Correa qui, depuis 2007, a rendu sa stabilité au pays grâce à
d’incontestables avancées sociales, ne se représentait pas [1].
Il
n’est pas encore 17 heures et les bureaux de vote ne sont pas fermés
quand Rafael Cuesta, ancien député social-chrétien (PSC, droite) devenu
« vice-président de l’information » de la chaîne de télévision Canal Uno, annonce à l’écran, avec une évidente satisfaction : « Nous avons un président de la République et c’est Guillermo Lasso. » A
18 h 30, sur la base du même sondage « sortie des urnes » effectué par
l’Institut Cedatos, étroitement lié à la Banque de Guayaquil (dont le
principal actionnaire s’appelle… Guillermo Lasso), le journaliste
vedette Alfredo Pinoargote salue joyeusement sur Ecuavisa celui que, depuis six mois, il a invité moult fois dans son programme « Contact direct » : « Félicitations, président ! » Autre grande chaîne commerciale, Teleamazonas déroule la même partition.
Sondages
et médias étant à l’évidence plus importants que les électeurs, les
urnes et les résultats officiels, encore inconnus à ce moment, Lasso
gratifie les siens d’un discours de chef d’Etat et tous, dans une
grande allégresse, fêtent « le retour de la liberté ». De
quoi feindre tomber des nues lorsque, à 20 heures, le Conseil national
électoral (CNE) annonce la victoire du socialiste Moreno avec 51,16 %
des voix. Lasso, qui avait déjà hurlé à la fraude lors du premier tour,
sans en apporter aucune preuve, entonne le même leitmotiv : outre
Cedatos, deux « comptages rapides » – ceux des instituts Market et
Informe Confidencial – l’ont placé en tête, dans une fourchette allant
de 51,5 % à 53 % des suffrages. Informe Confidencial démentira bien
avoir effectué un tel sondage, mais il en faudrait plus pour émouvoir
la droite équatorienne et ses alliés.
Dès le lendemain, le quotidien Expreso publie une page entière dédiée au « président Lasso ». Les influents El Universo et El Comercio (pour
ne citer qu’eux) semant également le doute sur la validité du résultat,
les manifestations et tentatives de prise des locaux du CNE par
quelques centaines de personnes se multiplient. Sans jamais atteindre
le niveau « protestations de masse » espéré par leurs initiateurs,
elles vont se poursuivre, Lasso exigeant, sans aucune justification
juridique, un recomptage de 100 % des bulletins et déclarant le 13
avril : « Pour se battre contre une dictature, il ne faut pas seulement des votes, il faut être dans la rue ! » Pourtant,
les autorités ont déjà accédé partiellement à sa demande et le réexamen
de 296 340 votes contestés dans cinq provinces n’a en rien modifié les
résultats. Manifestement conscients de l’inanité de leurs réclamations,
les représentants de CREO ne se sont même pas déplacés pour assister au
recomptage effectué dans la province de Pichincha : « Notre présence n’aurait fait que valider cet abus contre la démocratie », se sont-ils contentés de déclarer.
Lorsque, le 14 avril, « par souci de transparence et pour la tranquillité du pays » (dit autrement : pour en finir avec le « show » monté par l’opposition), le
CNE annonce qu’il va effectuer le 18 avril un recomptage portant sur 1
275 450 voix, correspondant à 3 865 procès-verbaux contestés « dans les
règles », en présence de délégués de toutes les organisations
politiques nationales et locales, Lasso et les dirigeants de CREO
annoncent… qu’ils refusent d’y assister. Quelques jours auparavant,
l’ex-député « ultra » du parti Société patriotique (SP) [2] Fernando Balda avait fait un appel du pied aux militaires : « Que coûte au haut commandement de donner une conférence de presse et de demander un recomptage total des votes ? » Avant de s’indigner, n’ayant trouvé aucun putschiste en puissance : « Ils ne le font pas ! »
Au
jour dit, après que le recomptage, retransmis intégralement et en
direct à la télévision, ait confirmé les chiffres initialement
annoncés, Lasso déclarera : « Jamais je ne reconnaîtrai la victoire du candidat déclaré président élu par le CNE (… ) Lenín Moreno sera le successeur d’un dictateur et gouvernera sans légitimité [3]. » Pour
qui douterait de la stratégie mise en œuvre, les journalistes Andrés
Carrión et Martín Pallares interrogés le 4 avril dans le programme
« Châtiment divin » l’avaient précisée : « Ce
qui peut être fait, c’est miner la légitimité de ceux qui ont été,
entre parenthèses, élus. Ces gens doivent savoir que, s’ils arrivent au
pouvoir, ce sera un pouvoir vicié et affaibli. Qu’ils auront des
problèmes pour l’exercer. » En
résumé : Lenín Moreno n’occupe pas encore sa fonction que déjà se
dessine la guerre sournoise destinée à polariser la société et à le
délégitimer afin de le déstabiliser plus facilement dès que les
circonstances s’y prêteront.
Qui
s’en souvient ? C’est ainsi qu’a commencé la très grave crise dans
laquelle se débat actuellement le Venezuela. En avril 2013, Nicolás
Maduro, « dauphin » du disparu Hugo Chávez, ayant battu Henrique
Capriles (Table de l’unité démocratique ; MUD) avec 50,75 % des
suffrages, ce résultat serré entraîna lui aussi des accusations non
avérées de fraude, de très violentes mobilisations de rues (onze morts)
et, ayant instillé le venin de la frustration chez les opposants,
prépara la déstabilisation du pays qui, de sabotage économique en
poussées de violence, atteint son climax aujourd’hui.
Les
renversements de Manuel Zelaya au Honduras (2009), de Fernando Lugo au
Paraguay (2012), puis de Dilma Rousseff au Brésil (2016) par des coups
d’Etat dits « institutionnels », auxquels se sont ajoutés la mort de
Chávez (mars 2013), ont amené les adeptes de « la fin de cycle » – un
supposé recul définitif de la « vague de gauche » – à croire l’affaire
bien engagée. Alors que, après douze ans de « kirchnérisme » (trois
mandats successifs de Nestor puis Cristina Kirchner), l’entrepreneur
multimillionnaire Mauricio Macri venait de remporter l’élection
présidentielle, l’ambassadeur des Etats-Unis Noah Mamet se félicitait
en mars 2016 : la décision de Barack Obama de visiter l’Argentine était « une reconnaissance à la détermination de Macri de la réinsérer dans l’économie globale [4] ». Le 7 septembre suivant, le vice-président américain Joe Biden qualifiait le renversement – rebaptisé « impeachment » – de Dilma Rousseff « d’un des meilleurs changements politiques qu’a connu la région ces derniers temps », avant, comme il se doit, d’appeler à ce qu’un référendum révocatoire soit tenu rapidement au Venezuela [5]>.
Quelques
mois après la réélection de Daniel Ortega au Nicaragua, la victoire de
Moreno en Equateur constitue un coup d’arrêt à cette restauration
conservatrice ardemment souhaitée. D’autant que, dans les pays qu’elle
affecte, les lendemains ne chantent pas particulièrement...
Au
Brésil, dans le cadre des gigantesque affaires de corruption impliquant
la compagnie pétrolière semi-publique Petrobras et le géant national du
BTP Odebrecht [6],
qui compromettent l’ensemble de la classe politique, le Tribunal
suprême fédéral (TSF) a annoncé le 11 avril l’ouverture d’une enquête
concernant cent huit personnalités, dont vingt-neuf sénateurs et
quarante-deux députés (parmi lesquels les présidents des deux chambres
du Congrès), huit ministres du président de facto Michel
Temer – lequel fait lui-même face à de graves accusations. On notera
que si le Parti des travailleurs (PT) a sa part de responsabilité dans
ce scandale systémique, celui-ci ne peut être invoqué pour expliquer la
« destitution » de Dilma Rousseff – un motif puéril d’« irrégularité
budgétaire » ayant servi pour justifier ce coup d’Etat, dont
les objectifs réels et les conséquences apparaissent chaque jour plus
clairement. En faisant voter la proposition d’amendement
constitutionnel (PEC 55) qui gèle les dépenses publiques de l’Etat pour
vingt ans, en s’attaquant aux retraites des travailleurs et en
éliminant une partie de l’allocation chômage, en fermant le ministère
du développement agraire, en menant une offensive brutale contre les
droits conquis depuis une décennie, le pouvoir illégitime, après avoir
jeté plus d’un million de personnes dans les rues les 8 et 15 mars,
devra affronter une grève générale le 28 avril prochain.
Dans
une Argentine affectée par les licenciements massifs et les
augmentations faramineuses des tarifs des services publics, les
enseignants en grève se sont faits sauvagement matraquer le 9 avril
alors que cinq mobilisations massives avaient déjà eu lieu entre le 8
et le 24 mars et qu’une première grève générale contre la politique de
rigueur avait paralysé le pays le 6 avril. Pour tenter de juguler cette
contestation montante, le parti du chef de l’Etat, Cambiemos
(Changeons), a déposé le 14 avril devant la Chambre des députés un
projet de loi destiné à durcir les sanctions contre les protestataires.
En termes juridiques, la réforme proposée introduit dans le code pénal
le concept de « manifestation publique », permettant à la police
d’arrêter sans contraintes les manifestants et aux juges de leur
appliquer des peines plus sévères.
Dans ce contexte, la fureur des oligarchies se retourne contre le pays, symbole de la résistance, « qu’il faut absolument faire tomber » :
le Venezuela. Depuis l’élection du président Maduro, le pays subit une
guerre totale et multiforme. Début 2014, l’opération « La Salida » (la
sortie), à travers ses opérations de guérilla urbaine, provoqua la mort
de 43 personnes de toutes tendances politiques et fit plus de 800
blessés, mais le pouvoir résista, arrêtant et jugeant Leopoldo López,
l’un des instigateurs du chaos.
Certes,
l’importante diminution des prix du pétrole, la principale ressource du
pays, a raréfié la rentrée des devises, rendant plus difficiles les
importations de biens de consommation. Certes, la gestion du
gouvernement ne brille pas toujours par son efficacité. Mais en aucun
cas ces deux facteurs ne peuvent expliquer à eux seuls la très dure
crise alimentaire et les incessantes pénuries qui, épuisant et
désorientant de larges secteurs de la population, y compris
« chavistes », ont permis la victoire de la MUD aux élections
législatives de décembre 2015. N’en déplaise aux médias complices,
incompétents, moutonniers, opportunistes ou fort peu courageux – la
pression générale étant devenue telle que les « notables de l’info »,
fussent-ils « de gauche », ne veulent pas risquer leur réputation ou
leur confort en semblant apparaître comme « les derniers défenseurs du
Venezuela » – c’est bel et bien, similaire à celle des années 1970 au
Chili, d’une déstabilisation économique qu’il s’agit.
S’apparentant
à des aveux, la loi d’amnistie votée le 29 mars 2016 par la nouvelle
majorité – et déclarée inconstitutionnelle par le Tribunal suprême de
justice (TSJ) le 11 avril suivant – ne mentionnait-elle pas, parmi les
délits et crimes (auto)-amnistiés de l’opposition, « la spéculation sur des aliments ou des boissons, des biens qualifiés comme de première nécessité » et « l’accaparement d’aliments ou de boissons, de biens qualifiés comme de première nécessité » ?
Le 12 novembre 2016, dans le cadre d’un dialogue dont les secteurs
radicaux de la MUD ne veulent pas et qu’ils ont depuis fait capoter,
c’est l’envoyé du pape en personne, Mgr Claudio María Celli, qui lit
l’accord pour un calendrier de discussion dans lequel « le
gouvernement et la MUD conviennent de combattre ensemble toute forme de
sabotage, de boycott ou d’agression contre l’économie ». Vous avez dit « paranoïa » ?
D’emblée,
début 2016, cette nouvelle majorité législative a annoncé son unique
objectif : « sortir » Maduro du pouvoir en six mois. Que ce soit
légalement ou non. Avec un choix délibéré de la seconde solution.
Dix-huit mois plus tard, tout un chacun peut constater qu’elle a
échoué. Dans cette guerre qu’elle n’a pas méritée et dont elle ne veut
pas, la « révolution bolivarienne » a encore assez de punch pour
opposer une belle résistance. Quitte à tomber parfois dans le piège qui
lui est tendu : face à une droite qui viole effrontément les règles du
jeu démocratique, franchir à son tour la ligne jaune, dans son désir
(et la nécessité) de rendre coup pour coup. Par exemple…
Dans
leur obsession de renverser le chef de l’Etat, les dirigeants de la MUD
ont, durant de longs mois, négligé la possibilité du référendum
révocatoire, permis par la Constitution. Lorsque, ayant été mis en
échec, ils s’y sont enfin résolus, ils avaient dépassé le délai
permettant, en cas de victoire du « oui », l’organisation d’une
élection : le vice-président « chaviste » remplacerait Maduro pour la
fin du mandat si celui-ci était destitué. En outre, leur collecte de
signatures a été entachée d’innombrables irrégularités. Raison
juridiquement motivée – mais aussi prétexte évident, le nombre de
paraphes requis étant en tout état de cause largement atteint – dont
s’est emparé le pouvoir pour bloquer le processus. On peut le lui
reprocher (on ne s’en prive pas). On peut aussi considérer que, compte
tenu de la violence déstabilisatrice qui lui est imposée, il se trouve
dans la situation d’un athlète de haut niveau à qui son adversaire
brise les tibias à coups de barres de fer avant de lui intimer : « Maintenant, allons courir un cent mètres ensemble et voyons qui va l’emporter ! » S’il
dispose d’arguments juridiques incontestables pour le faire, on
comprendra que la victime puisse écarter ce type de « compétition ».
Dont, d’ailleurs, l’opposition ne veut plus !
Dans
le même ordre d’idée, la décision du TSJ, le 29 mars, d’assumer les
fonctions de l’Assemblée nationale, non indéfiniment, comme il a été
faussement affirmé, mais « tant que la majorité de droite continuerait à ignorer ses verdicts » –
entre autres sur l’élection contestée de trois députés de l’Etat
d’Amazonas qu’elle a néanmoins incorporés – ou refuserait de
reconnaître les institutions et le chef de l’Etat était, quoi qu’on en
dise, justifiée. Mais, intervenant au plus chaud d’une situation
explosive, elle pouvait, habilement présentée par ses détracteurs,
donner lieu à une accusation d’« auto-coup d’Etat ». Ce qui n’a pas
manqué de se produire. La procureure générale de la République Luisa
Ortega critiquant la décision et les plus hautes instances du pouvoir
se rendant compte du danger de cette interprétation face à la
« communauté internationale », le TSJ est revenu sur sa décision, mais
le mal était fait. La planète médias jouant son rôle, l’accusation
demeure, bien qu’étant, surtout après ce recul, totalement injustifiée.
De même, la Cour des comptes (Controlaría general de la República)
dispose d’accusations crédibles – détournement de fonds publics – pour
mettre en cause l’ex-candidat à la présidence Henrique Capriles,
gouverneur de l’Etat de Miranda. Toutefois, les faits remontent à…
2013. Que n’a-t-il été jugé plus tôt ? Le verdict rendu le 7 avril
dernier et le déclarant inéligible pour quinze ans paraît, compte tenu
du contexte, tomber à un moment particulièrement inopportun. C’est
faire à l’opposition et à ses puissants alliés extérieurs le cadeau
d’un « martyr » que ceux-ci ne manquent pas d’exploiter.
Dès le 9 mars 2015, Barack Obama avait désigné par décret le Venezuela comme « une menace extraordinaire pour la sécurité nationale et la politique extérieure des Etats-Unis », ouvrant
le terrain juridique à une possible intervention (dont la nature reste
à déterminer). Pour ce faire « l’Empire » dirigé aujourd’hui par
l’irrationnel Donald Trump bénéficie de l’aide de son nouveau
« cipaye » Luis Almagro, secrétaire général de l’Organisation des Etats
américains (OEA), objectivement redevenue le ministère des Colonies de
Washington dénoncé en son temps par Fidel Castro. Une offensive féroce,
obsessionnelle, tente d’isoler Caracas en la suspendant des activités
de l’organisation. Néanmoins, en juin 2016, une première tentative de
faire activer à son encontre la charte démocratique a échoué. Au grand
dam d’Almagro, son initiateur, une majorité des nations, allergiques
aux « interventions extérieures », se prononça pour une continuation du
dialogue alors mené entre le gouvernement et la MUD, sous les auspices
du Vatican et de l’Union des nations sud-américaines (Unasur), par les
ex-présidents médiateurs José Luis Rodríguez Zapatero (Espagne), Leonel
Fernández (République dominicaine) et Martín Torrijos (Panamá).
Silencieux sur le coup d’Etat au Brésil, méprisant tous les usages diplomatiques lorsqu’il traite publiquement Maduro de « traître, menteur, voleur et petit dictateur », Almagro
n’a pas hésité à se faire décorer de l’ordre Rómulo Betancourt, le 13
avril 2017, à Miami, par le président de l’Organisation des
Vénézuéliens persécutés politiques en exil (Veppex), l’ex-lieutenant
José Colina. Ce dernier est poursuivi dans son pays pour avoir perpétué
deux attentats à la bombe en février 2003, à Caracas, contre
l’ambassade d’Espagne et le consulat colombien, crimes évidemment
attribués dans un premier temps aux Cercles bolivariens de Chávez. En
cavale, Colina a obtenu l’asile politique aux Etats-Unis après avoir
été défendu par l’avocat Matthew Archambeault, celui-là même qui, en
avril 2011, fit absoudre définitivement par la « justice américaine »
le terroriste cubano-vénézuélien Luis Posada Carriles – auteur
intellectuel de la pose de deux bombes dans un vol de la Cubana de
Aviación (73 morts le 6 octobre 1976) –, lui permettant de vivre depuis
en toute impunité à Miami.
Dans
ce contexte où, de l’intérieur et de l’extérieur, les deux
interagissant, il s’agit de prendre la « révolution bolivarienne » en
tenaille, la bataille fait donc rage à l’OEA. Bien que son Conseil
permanent ait tenu une nouvelle réunion d’urgence le 28 mars à
Washington, celle-ci n’a pas débouché sur les résultats escomptés – la
suspension de Caracas et des élections générales anticipées – par le
« roitelet » de l’organisation. Non seulement aucune résolution
sanctionnant les supposés égarements du gouvernement vénézuélien n’a
été adoptée, mais plusieurs Etats membres, dont Haïti, El Salvador et
la République dominicaine, pourtant soumis à de très fortes pressions
des Etats-Unis, ont fustigé l’attitude d’Almagro, la jugeant partiale
et interventionniste. « Le moment est grave et dépasse de loin la question du Venezuela, déclara
alors avec une grande dignité Harvel Jean-Baptiste, ambassadeur d’un
pays, Haïti, qui n’appartient pas à l’« arc progressiste », mais auquel
Washington menace de retirer son aide financière s’il continue à
appuyer Caracas. Les agissements du
secrétaire général fragilisent notre organisation. Si nous laissons le
secrétaire général, comme il le fait, s’immiscer sans réserve dans les
affaires internes d’un pays, au détriment du principe du respect de la
souveraineté des Etats, bientôt Haïti et d’autres pays de la région,
seront eux aussi victimes de cette même dérive de l’organisation [7]. »
Un
coup de force le 3 avril suivant – la Bolivie et Haïti, respectivement
président et vice-président en exercice du Conseil ayant été écartés et
remplacés, au mépris de toutes les règles, par le Honduras – a
néanmoins permis à dix-sept des vingt-et-un pays présents d’adopter
« par consensus » une résolution dénonçant « la rupture de l’ordre constitutionnel au Venezuela » tout en exigeant « des actions concrètes » de
son gouvernement. Tandis que la République dominicaine, les Bahamas, le
Belize et El Salvador s’abstenaient, la Bolivie, le Nicaragua et le
Venezuela avaient, le jugeant illégal, abandonné ce « tribunal d’inquisition », comme le qualifia Maduro.
Echec
à nouveau, au-delà des déclarations triomphales, puisque, en tout état
de cause, il est nécessaire de rassembler les deux tiers de l’Assemblée
générale (vingt-quatre pays) pour en exclure le Venezuela. Raison pour
laquelle la campagne infernale se poursuit, dont le surréalisme échappe
à nombre d’observateurs, sans doute un peu distraits : en tête de liste
des onze pays de l’« Axe du bien » [8] qui, le 17 avril, au nom de la démocratie, ont appelé le gouvernement vénézuélien à « garantir le droit aux manifestations pacifiques », figurent
la Colombie – plus de 130 dirigeants et militants de mouvements
populaires assassinés d’octobre 2012 à la fin 2016 (23 depuis janvier
2017) – et le Mexique – 28 500 « disparitions forcées » depuis 2006
(dont les 43 étudiants d’Ayotzinapa), 11 journalistes exécutés et 23 de
leurs confrères « disparus » en 2016.
Forte
du soutien de ces paladins de la liberté, la MUD, qui a définitivement
écarté le chemin du dialogue, multiplie depuis début avril les
manifestations au cours desquelles, en marge des opposants pacifiques,
des groupes de choc ultra violents multiplient agressions aux forces de
l’ordre et actes de vandalisme. C’est que, pour la MUD, le temps
presse. Les prix du pétrole repartant à la hausse, fût-elle modérée, le
gouvernement fournissant en urgence des produits de première nécessité
à plus de six millions de familles à travers treize mille Comités
locaux d’approvisionnement et de production (CLAP), réactivant
l’agriculture et en appelant à la participation de certains groupes du
secteur privé au redressement économique, la situation tend quelque peu
à (et surtout « risque de ») s’améliorer.
Comme en 2002 lors du coup d’Etat contre Chávez ou en 2014 au cours des « guarimbas », il
faut à l’extrême droite des cadavres pour émouvoir et mobiliser la
communauté internationale. Le 18 avril, la veille de « la mère de
toutes les manifestations », organisée par l’opposition – à laquelle
répondra d’ailleurs une « marche des marches » des chavistes dans le
centre de Caracas –, Mark Toner, porte-parole du Département d’Etat
américain, dénonça une « répression criminelle » et la « violation des droits humains » du
pouvoir bolivarien. Car déjà, comme en 2014, le décompte macabre des
victimes donne lieu à une manipulation de première catégorie.
Dès
le 14 avril, huit morts étaient à déplorer – par définition attribués
« à la répression ». Il s’avéra rapidement que l’un d’entre eux, Brayan
Principal, a été tué par un groupe d’individus cagoulés qui a criblé de
balles une lotissement « chaviste », la Ciudad Socialista Alí Primera,
construite par le gouvernement de Maduro à Barquisimeto. Qu’un autre,
le jeune Miguel Ángel Colmenares, à Caracas, ne manifestait pas, mais
est tombé dans une embuscade de sujets qui l’ont dépouillé de son
argent avant de l’assassiner. Qu’un autre encore, Oliver Villa Camargo,
a été exécuté d’une balle dans la tête alors qu’il venait de tenter, en
auto, de franchir une barricade. Que Ricarda de Lourdes González, 87
ans, n’est pas morte asphyxiée par les gaz lacrymogènes, mais, comme
l’a précisé sa fille, parce que les « guarimberos » (manifestants) « ne nous ont pas laissé sortir quand – alors qu’elle était victime d’un accident cérébro-vasculaire – on a voulu l’emmener à la clinique Las Mercedes [9] ». Il s’agit là, non d’une liste exhaustive, mais de quelques cas.
Evoquant la mort d’un étudiant de 17 ans, Carlos Moreno, tué d’une balle dans la tête, à Caracas, le 19 avril, « par des motards qui ont tiré et lancé des gaz lacrymogènes », le « dévoyé spécial » de l’ex-quotidien français d’information Le Monde, Paulo Paranagua, précise (21 avril) : « Paola Ramirez Gomez, 23 ans, est morte en province, à San Cristobal, dans des circonstances similaires ». Que
ses lecteurs le sachent : Paranagua ment. Initialement attribué à des
« collectifs chavistes », accusés de tous les maux, il a été prouvé
après enquête que le meurtre de cette jeune femme a été commis depuis
le deuxième étage d’un immeuble, par les tirs d’un individu nommé Iván
Aleisis Pernía, militant d’opposition arrêté et incarcéré depuis. Il
est vrai que Paranagua n’en est pas à une imposture près : n’a-t-il pas
reproduit, sans aucune prise de distance ni commentaire (15 avril),
cette déclaration ahurissante de Julio Borges, l’un des principaux
dirigeants de l’opposition : « Les groupes paramilitaires du Venezuela menacent la paix en Colombie. » Le
premier réflexe est d’en rire. Le second est de ressortir de la
poubelle, où on l’avait jeté, et de retourner contre lui, le
prétentieux « Décodex » du Monde [10] : « Ce
média diffuse régulièrement des fausses informations ou des émissions
trompeuses. Restez vigilants ou cherchez d’autres sources plus fiables.
Si possible, remontez à l’origine de l’information. »
Dans
ce climat de violence exacerbée, on observe des excès de tous les
côtés. Un mandat d’arrêt a ainsi été lancé contre quinze gardes
nationaux présumés responsables du décès de Gruseny Antonio Canelón, à
Cabudare, le 12 avril. De l’autre côté des barricades, des membres des
forces de l’ordre tombent également, tel le sergent de la Garde
nationale Neumar José Sanclemente Barrios, assassiné par arme à feu le
19 avril à San Antonio de los Altos. Huit membres des forces de l’ordre
avaient d’ailleurs déjà été tués par balles en 2014, sans trop émouvoir
les « observateurs » pour qui, semblerait-il, l’assassin d’un policier,
sur les Champs-Elysées, à Paris, est un « terroriste » quand l’assassin
d’un policier au Venezuela est « un manifestant pacifique »…
Dans
des circonstances particulièrement confuses, et après l’appel à
manifestations de dirigeants anti-chavistes, la mise à sac d’une
dizaine de commerces du secteur populaire d’El Valle (Caracas) par de
supposées bandes d’« affamés »,
la nuit du 19 avril, s’est soldée par la mort de onze personnes (trois
par armes à feu, huit électrocutées par un système de protection en
tentant de dévaliser une boulangerie). Dans leur furie destructrice,
les mêmes hordes, qu’on suppose manipulées, n’ont pas hésité à attaquer
un hôpital de soins pédiatriques – au prétexte sans doute qu’il
s’appelle « Hugo Chávez » –, obligeant en catastrophe à en évacuer 54
mères, enfants et nouveaux-nés. Dans un tel chaos, la manipulation de
l’information devient un jeu d’enfant : « Les manifestations ont fait 20 morts en trois semaines », peut-on lire ou entendre à peu près partout au même moment [11].
De quoi atteindre l’objectif recherché en faisant du Venezuela un
« Etat failli ». Et, au passage, en utilisant la désinformation
générale affectant ce pays, pour stigmatiser par la bande un homme
politique – tel, lors du premier tour de la campagne présidentielle
française, le candidat de la France insoumise Jean-Luc Mélenchon. A cet
égard, le 6/9 de France Inter,
consacré au Venezuela le matin même du scrutin aura constitué un modèle
de perfidie subliminale – sans doute sévèrement critiqué s’il existait
en France un Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).
Le
22 avril, à l’appel de l’opposition, des milliers de Vénézuéliens ont
participé à une marche silencieuse en mémoire des victimes des
manifestations du mois d’avril. Devant le siège de la Conférence
épiscopale, tandis que le député Henry Ramos Allup déclarait qu’il
s’agissait d’un hommage « à tous les morts, y compris aux victimes potentielles et éventuelles qu’il y aura sûrement les jours prochains », son « collègue » Freddy Guevara précisait que les manifestations à venir avaient pour objectif de « dévoiler le véritable visage du dictateur » en générant « l’ingouvernabilité [12] ». Des messages qui ont le mérite de la clarté. Sauf, manifestement, pour les médias.
NOTES
[2]
Parti de l’ex-président Lucio Guttiérez, renversé par un soulèvement
populaire le 20 avril 2005. Candidat du parti, Patricio Zuquilanda a
obtenu 0,77 % des voix lors du premier tour de la présidentielle, le 19
février. Gutiérrez n’a pas été élu lors des législatives auxquelles il
se présentait.
[3] Ecuadorinmediato, Quito, 19 avril 2017.
[4] BBC Mundo, Londres, 23 mars 2016.
[5] El País, Madrid, 7 septembre 2016.
[6]
Petrobras (propriété d’actionnaires privés ou institutionnels à 51 %) a
attribué des marchés surfacturés à des entreprises de BTP, permettant
ainsi le versement de pots-de-vin destinés à financer les partis
politiques ou des politiciens corrompus. Odebrecht aurait arrosé de
bakchichs des fonctionnaires et hommes politiques de douze pays
d’Amérique latine pour y rafler des chantiers.
[7] Haïti Libre, Port-au-Prince, 29 mars 2017.
[8] Argentine, Brésil, Chili, Colombie, Costa Rica, Guatemala, Honduras, Mexique, Paraguay, Pérou et Uruguay.
[9] El Universal, Caracas, 11 avril 2017.
[10]
Outil censé, sur la Toile, aider les internautes à trier les vraies des
fausses informations en stigmatisant les sites « mal pensants ».
[11] Le Monde, France Info, CNews, LCI, La Dépêche, Presse Océan, La Libre Belgique, etc., du 21 au 23 avril 2017.
[12] Alba Ciudad, Caracas, 22 avril 2017.
Espérons que la dernière action de Maduro, quitter l'OEA donne un coup de fouet à ses détracteurs, traitres à leur pays !
RépondreSupprimerLe Président syrien a de son côté dit, à raison, que ce qui s'y passe lui rappelle le début de la guerre (qui n'a rien de civile) dans son pays.
Il est clair que depuis la mort de Chavez, les tentatives s'y suivent à un rythme effréné !
Quant à l’Équateur, la procédure de délégitimation du président me rappelle étrangement ce qui s'est passé lors des dernières élections aux usa...
Quand donc toutes ces manigances vont-elles prendre fin ? Quand donc reconnaitront-ils qu'ils ne sont plus les maîtres du monde ?