L’industrialisation de la Pologne Populaire et ses conséquences sociales



Beata Karoń
Parti Communiste Polonais

„L’industrialisation de la Pologne Populaire et ses conséquences sociales”

Au cours des 25 dernières années l’image des réalisations économiques de la Pologne des années 1944-1989 a été délibérément falsifiée afin de justifier des intérêts politiques. Un exemple frappant de cette manipulation est la fameuse phrase prononcée au début des années 90 par Jan Krzysztof Bielecki, alors premier ministre, que „les communistes ont plus détruit l’économie polonaise que l’occupation hitlérienne”. L’année dernière le président Komorowski a déclaré que „La Pologne a récupéré en 1989 des mains des communistes une économie en ruine”. De même des institutions comme l’Institut de la Mémoire Nationale mettent en avant les problèmes de la défunte économie en les exagérant, tout en omettant de présenter le développement accompli à cette période. Cette image de destruction est complètement éloignée de la réalité. Dans la période la Pologne Populaire de nombreux processus positifs de développement ont eu lieu, y compris dans le domaine économique. La question de l’industrialisation illustre le mieux les réalisations sociales du socialisme réel en Pologne. Il est important également d’analyser l’industralisation de la Pologne Populaire pour comprendre comment a pu être accomplie la transformation capitaliste.


Nous commencerons par présenter le point de départ de la Pologne en 1945 – une Pologne à peine sortie de l’arriération économique de la Seconde République et des ruines de la guerre. De 1918 à 1939 la Pologne était un pays agricole. Jusqu’en 1939 le pays n’a pas pu retrouver le niveau de production industrielle que les territoires polonais avaient atteint en 1913. Dans les années 1935-1939 on a construit dans le cadre du COP - la Région Centrale Industrielle - seulement 51 nouvelles entreprises qui employaient 110 000 salariés. Pendant la seconde guerre mondiale l’appareil productif a été dans sa grande majorité complètement détruit. Le Bureau des Indemnités de Guerre a mentionné dans son rapport de 1947 que 64,5% des structures de l’industrie chimique, 64,3% des imprimeries, 59,7% de l’industrie électrotechnique, 55,4% de l’industrie textile, 53,1% de l’industrie agroalimentaire et 48% de l’industrie métallurgique ont été détruites.

L’industrialisation de l’après guerre a été le résultat des transformations politiques dont de la nationalisation des entreprises qui a permis la reconstruction sans intervention des anciens propriétaires et de leurs héritiers. La nationalisation des biens immobiliers dans les villes a facilité le développement des villes en permettant une reconstruction et une construction rapide d’agglomérations entières dans lesquelles étaient prévues les entreprises de production. Les autorités ont crée l’Institut Central de Planification (CUP) qui a mis en oeuvre le Plan Triennal de la Reconstruction Economique pour les années 1947-1949. Ce plan contenait le projet de reconstruire très rapidement les usines détruites et de développer l’industrie. Les données statistiques prouvent l’intensification de ces investissements. 

Si en 1937 pour 1000 habitants 25 travaillaient dans l’industrie, en 1950 ce chiffre est de 85, c’est à dire trois fois plus. C’est au cours de ce premier Plan Triennal qu’on a construit les plus grandes entreprises de la Pologne Populaire comme l’Usine d’Automobiles Personnelles (FSO) de Varsovie ainsi que le célèbre combinat métallurgique de Nowa Huta. Lors de la seconde phase d’industrialisation de 1951-1960 les autorités ont construit 519 entreprises, c’est à dire 32% des usines actives en Pologne Populaire en cette période. Les 10 années suivantes on a construit 617 entreprises industrielles. En tout dans les années 1949-1988 1615 usines de plus 100 salariés ont été ouvertes. Dans toutes ces entreprises travaillaient plus de 2 millions de personnes. La valeur de la production de ces entreprises atteignaient 17 trillions de Zlotys, c’est à dire 55% de la valeur de toute l’industrie en Pologne. La moitié de la production industrielle de la Pologne était concentrée dans 5 secteurs – la sidérurgie, l’énergétique, l’industrie chimique, agroalimentaire et minière. Les entreprises les plus nombreuses ont été crées dans l’industrie agroalimentaire – elles étaient au nombre de 295 et souvent plus petites que dans l’industrie lourde. 142 entreprises de technologie de pointe ont été également crées. 


L’industrialisation a entrainé des modifications de la démographie. En 1946 plus de 68% des Polonais habitaient dans des villages. Suite au développement et à la construction des villes liés aux infrastructures industrielles, en 1960 le taux d’habitants à la campagne baisse à 51,7%. Cependant les inégalités de territoires entre les régions industrielles et agricoles diminuaient car les entreprises industrielles étaient ouvertes y compris dans les agglomérations moyennes attirant ainsi dans leur orbite le développement de petites villes et des villages. C’est alors qu’est née la nouvelle classe ouvrière ainsi que les nouvelles classes moyennes issues de l’ascension sociale permise par l’industrialisation et l’urbanisation.

Le développement de l’industrie apportait la stabilité de l’emploi. Les diplômés des écoles professionnelles trouvaient du travail immédiatement avec devant eux une perspective de carrière sur plusieurs décennies. Les différences de revenus entre les agents de maitrise et les ouvriers n’étaient pas très grandes et demeuraient acceptées par la société. Les entreprises crées par la Pologne Populaire en ce temps là garantissaient aux salariés immédiatement après l’embauche des avantages sociaux appréciables au delà du salaire. Ces avantages étaient composées de Maisons de la Culture, de centre médicaux d’entreprises, d’école professionnelles, de logement d’entreprises.

L’industrialisation a culminé avec la construction des grandes industries des années 70 alors que les autorités cherchaient surtout à développer les technologies de pointe. En 1970 sur 1000 Polonais 137 travaillaient dans l’industrie. En 1980 147 Polonais sur 1000 étaient employés par l’industrie. Dans les entreprises ouvertes dans les années 70 2 millions de nouveaux emplois ont été crées – le plus dans l’industrie de construction de machines (202 000), ensuite dans l’industrie minière (187 000) puis dans la sidérurgie (173 000 emplois). Dans les années 80 le nombre des salariés de l’industrie a baissé, les premiers symptômes de la désindustralisation sont apparus – on a commencé en effet à découper les usines en filiales dont certaines étaient déjà destinés à la privatisation. Ces nouvelles joint venture recevaient alors gratuitement le capital de l’entreprise ainsi que les machines les plus récentes et les cadres les mieux formés.

Dès 1989 et la „transformation” capitaliste la privatisation a entamé le processus de liquidation des entreprises industrielles à une grande échelle. De 1989 à 2012, 657 entreprises des 1615 entreprises construites par la Pologne Populaires ont été fermées – cela veut dire que 40% des entreprises construites par la Pologne Populaire ont été détruites. De plus, du fait de leur grande taille, cette destruction a eu des conséquences sociales et économiques graves sur des régions entières. Ainsi les nouveaux gouvernements ont détruit plus de 834 000 emplois dont 640 000 dans les plus grandes entreprises- celles qui employaient plus de 1000 salariés. 242 entreprises de cette taille ont été liquidées. Parmis 657 entreprises défuntes, 28 seulement ont été fermées pour des raisons d’obsolescence technologique et 18 pour la protection de l’environnement. Si on y rajoute 86 entreprises fermées pour cause de non-rentabilité immédiate, nous obtenons 132 entreprises, soit moins d’un quart avait une raison d’être fermée.

Dans le cas de 500 entreprises restantes cette destruction a résulté des „forces du marché”, de mauvaise gestion et de décisions purement politique de liquidation. Ces entreprises ont été vendues bien en dessous de leur valeur, et les nouveaux propriétaires n’avaient comme objectif que l’accaparement du capital ou leur destruction pure et simple car elles constituaient leur concurrence. On peut citer comme exemple la société de Cellulose et de Papier de Kostrzyn vendue à un capitaliste suédois pour 0,8 millions de Zlotys alors que la valeur bilan de l’entreprise (valeur comptable moins le taux d’endettement) était de plus de 250 millions de Zlotys.

L’usine sidérurgique Huta Warszawa a été une des privatisations emblématiques. Dans les années fastes elle employait 10 000 salariés. Elle possédait sa propre école professionnelle que chaque années finissaient 1000 diplômés. La restructuration du début des années 90 a ramené le nombre de salariés à 4500 personnes. En 1992 la société italienne Lucchini a repris l’usine et l’a transformé en société à responsabilité limitée, réduit encore le nombre d’emplois et promis de conserver les avantages sociaux ainsi que la modernisation de la production. Mais Lucchini a continué la suppression de plusieurs secteurs de production. La libéralisation du marché de l’acier a fait le reste. En 1999 l’entreprise n’employait plus que 2000 personnes. Ce qui restait des hauts fourneaux Huta Warszawa n’était plus en état de se battre sur le marché concurrentiel mondial de l’acier. En 2005 Arcelor Mittal a racheté l’usine. Avec la crise de 2008 Arcelor Mittal a décidé de récupérer sur sa filiale polonaise l’argent perdu ailleurs – dans les amendes infligées suite à ses pratiques monopolistiques et aux atteintes à l’environnement. En 2013 la plupart des emplois de Huta Warszawa ont été supprimés et les ouvriers licenciés – il n’en restait que 200. On a obligé les derniers salariés à prendre des congés du fait du ralentissement de la production et de l’arrêt des investissements. Aujourd’hui l’usine est en faillite et sa production n’a plus aucune valeur sur le marché.

Une autre usine emblématique de l’histoire de la Pologne et de Varsovie a été détruite de la même manière. Il s’agit de FSO - Fabryka Samochodów Osobowych- l’Usine d’Automobiles Personnelles. Dans le cadre de FSO 13 entreprises sous traitantes fabriquaient des pièces détachées automobiles dans tout le pays. Dans cette usine travaillaient de nombreuses personnes vivant dans les villages de la région ou en banlieue de Varsovie. Dès le début des années 90 de nombreux emplois y ont été supprimés. L’entreprise n’investissait pas dans de nouvelles productions, attendant sa reprise par un investisseur. En 1995 les politiques ont décidé de privatiser FSO en fermant l’entreprise publique et transférant ses actifs à une Société du Trésor Public qui devait signer une joint venture avec Daewoo. L’accord signé avec la multinationale coréenne prévoyait le maintien de l’emploi en l’état pendant 3 ans ainsi que des avantages sociaux des ouvriers. Encore en 1996 20 000 personnes travaillaient à FSO. Mais là également ce sont les problèmes financiers de Daewoo qui ont entrainé la chute de l’entreprise polonaise. La compagnie coréenne ferma d’abord de nombreux secteurs de l’usine et en 2004 arrêta la production. Pendant un certain temps un oligarque ukrainien détenait l’usine mais n’a réalisé aucun investissement. En 2009 il n’y avait plus que 2500 salariés dans l’entreprise dont 600 ont été rapidement licenciés. La crise capitaliste a été mortelle pour FSO: General Motors qui vendait alors les voitures Chevrolet produites à Varsovie a rompu en 2011 les accords signés. On a arrêté la production complètement et la SARL FSO n’existe depuis qu’à l’état de restes. Elle produit des réservoirs à essence, des systèmes électriques pour les automobiles, des clôtures pour jardin, des lampes, des jouets Lego ou des éléments de machines à laver.

Actuellement 30% des salariés polonais travaillent encore dans l’industrie. Cependant il n’y a plus de grandes entreprises, mais des réseaux de petites entreprises employant bien moins de salariés qui restent dispersés géographiquement dans une production très diversifiée. Le caractère de ce qui est produit a également changé. Au temps de la Pologne Populaire la conception des produits était le fruit du travail d’ingénieurs locaux et on vendaient des produits conçus de A à Z sur place. Actuellement les compagnies internationales qui investissent en Pologne ne veulent mettre en place que le montage d’élements produits ailleurs ou produire uniquement des éléments qui seront assemblés dans d’autres pays. Les entreprises industrielles ont une indépendante bien moindre et sont très vulnérables aux crises capitalistes. De même le processus d’urbanisation s’est inversé depuis la destruction de l’industrie issue de la Pologne Populaie. En 1991 62% de la population polonaise habitaient dans des villes, en 2009 moins de 61% - la tendance est donc à la baisse.

La désindustrialisation de la Pologne après 1989 a été rapide et  bien plus massive que dans l’autre pays européen. Elle a conduit à un chômage de masse, à la régression sociale et culturelle, elle a entrainé l’émigration, surtout de la jeunesse. La destruction des entreprises industrielles de la Pologne est l’effet en grande partie de décision purement politiques – l’un des objectif du nouveau pouvoir a été de se débarrasser du bien public national afin que les investisseurs étrangers en disposent librement, sans se soucier des conséquences sociales.

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