Les Massaï chassés de leurs terre : pétition et témoignage

On assiste dans le nord de la Tanzanie, à ce qui peut être décrit comme la destruction systématique de la culture et des moyens de subsistance de la tribu la plus emblématique d’Afrique. Ce qui se passe en Tanzanie est symptomatique de ce qui est en train de se passer sur l'ensemble de la planète. Les riches s'accaparent des plus beau sites en faisant fi de la population locale. Les riches en font des lieux de villégiature pour touristes fortunés. Les gouvernements complices en profitent pour faire entrer les devises. m.leray



Nous sommes les Anciens des Masaï de Tanzanie, l’une des plus anciennes tribus d’Afrique. Le gouvernement vient d'annoncer qu’il prévoyait d’expulser des milliers de familles de nos terres pour permettre aux touristes de tuer lions et léopards. Les expulsions peuvent commencer d'un instant à l'autre.

L’an dernier, lorsque nous avons entendu parler de ce projet pour la première fois, près d’un million de membres d’Avaaz s'étaient mobilisés pour nous aider. La tempête médiatique que vous avez créée a forcé le gouvernement à abandonner ses projets pendant plusieurs mois. Mais le président a attendu que l’attention des médias retombe pour relancer ce projet qui vise à nous déposséder de nos terres. Aujourd’hui encore, nous avons besoin de votre aide de toute urgence.

Il est clair que le président Kikwete ne se soucie pas de notre sort, mais il est, nous l'avons vu, sensible à la pression médiatique et citoyenne – c’est-à-dire à votre mobilisation! Si chacun de vous envoie un message à l'ambassade Tanzanienne de son pays, Kikwete recevra des rapports de partout dans le monde qui lui montreront que cette spoliation de terres fait le tour du globe. C'est notre dernier espoir de le faire revenir sur sa décision.

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TÉMOIGNAGE

LA CULTURE DES MASSAÏS EN PÉRIL




Pour encaisser des devises, la Tanzanie joue la carte du tourisme. Quitte à chasser tout un peuple de ses terres ancestrales.

La nuit tombe vite près de l’équateur. Alors que les masses de nuages qui apparaissent à l’horizon prennent un ton orange tandoori, des enfants font rentrer les chèvres à l’intérieur d’enclos formés d’épineux pour les protéger des léopards. Sur le sentier qui gravit la colline, un vieux Massaï passe, grimpant la côte à grandes enjambées, sans effort. Un tissu rouge l’enveloppe des épaules aux genoux. D’une main, il tient une lance. De l’autre, il pianote sur un téléphone portable. Je peux sentir la fumée des feux du village massaï voisin, sur lesquels les habitants préparent le dîner : soirée ordinaire sur les hauts plateaux d’Afrique de l’Est.


Etrangement, je viens de recevoir un texto me souhaitant la bienvenue aux Emirats arabes unis (EAU). “Nous vous souhaitons un agréable séjour !” peut-on y lire. L’explication se trouve là-bas, juste en haut de la colline, à un endroit que les autochtones appellent “Arabiya”. C’est une sorte de camp touristique constitué d’une imposante résidence, d’une piste d’aviation capable d’accueillir de gros jets, d’une flotte de véhicules tout-terrain et d’une agence de télécommunications à l’enseigne de l’opérateur des Emirats arabes unis. On y trouve également le siège d’Ortelo Business Corporation (OBC), une entreprise peu connue (elle ne fait pas de publicité) qui organise des safaris de luxe. Fondée en 1993 par un ministre de la Défense des EAU proche de la famille royale de Dubaï, elle propose aux cheikhs et aux millionnaires du Golfe de venir faire des séjours agréables dans la nature. Son champ d’action : une région appelée Loliondo, plus vaste que le Hampshire.


Cette étendue de coteaux et de savane ne constitue que l’une des innombrables terres que le gouvernement tanzanien, avide de dollars, a abandonnées aux investisseurs étrangers. En vertu de la “stratégie de développement” adoptée par le gouvernement, la Tanzanie doit attirer 1 million de touristes en 2010 et les dirigeants semblent prêts à tout pour y parvenir. Rappelons qu’un quart du territoire est protégé à des fins de “conservation”. En règle générale, cela signifie qu’on y développe un tourisme du type safari et que les personnes qui vivent sur ces terres se font expulser par le gouvernement.


A quelques kilomètres d’Arabiya, dans les collines, se trouve un autre établissement, d’un genre un peu différent. L’Enashiva Nature Refuge est un complexe avec hôtel et camping, installé sur un domaine de près de 5 000 hectares. Il appartient à une société d’écotourisme américaine, primée pour son travail : Thomson Safaris. Si cette entreprise se vante de sa philanthropie, les Massaïs l’accusent de les avoir privés, eux et leurs troupeaux, des terres où ils venaient chercher de l’eau et des herbages. Thomson Safaris conteste ces accusations : “Les gardiens de troupeaux ont toujours eu accès à une source pendant la saison sèche.” Or le plus important, pour ces bergers semi-nomades, c’est de pouvoir déplacer leurs troupeaux sur différentes zones de pâture au fil des saisons. Thomson discute actuellement de ce point avec un comité de sages locaux. Cela fait deux ans que les frontières d’Enashiva sont le théâtre de violentes confrontations, parfois accompagnées de coups de feu, entre les bergers, les gardes de Thomson et la police.


On assiste ici, dans le nord de la Tanzanie, à ce qui peut être décrit comme la destruction systématique de la culture et des moyens de subsistance de la tribu la plus emblématique d’Afrique. Elégants, intelligents et insoumis, les Massaïs fascinent les aventuriers depuis le milieu du XIXe siècle. Avec leurs pommettes hautes et leur code de guerre chevaleresque, ces nomades forment la toile de fond d’une kyrielle de fictions africaines imaginées par des figures du monde blanc, du romancier Ernest Hemingway au photographe Peter Beard. Mais, aujourd’hui, les Massaïs sont en train de se faire ghettoïser, jugés indésirables au sein des nouveaux Disneyland d’Afrique. Parmi les nombreuses entreprises touristiques étrangères, certaines se font complices du gouvernement, qui distribue à qui mieux mieux les terres sur lesquelles les Massaïs ont vécu pendant des siècles. 


Selon des ONG, des centaines de fermes massaïs ont été incendiées par la police, en juillet-août dernier, lorsque des bergers, frappés par la sécheresse, ont amené leur bétail sur des terres louées par l’Etat à l’OBC. “Un Massaï, c’est bien pour les photos des touristes, c’est aussi utile pour porter vos sacs jusqu’au camp, et peut-être pour vous guider et vous aider à voir des animaux”, explique Moringe Ole Parkipuny, un vieux défenseur des droits des Massaïs, qui siège au Parlement tanzanien. 

“Mais, en fin de compte, les animaux ont bien plus de valeur que les personnes.” 

S’il faut une preuve de ce sombre constat, elle se trouve dans le nord de la Tanzanie, dans une région qui attire les touristes comme le miel attire les abeilles, le massif du Ngorongoro. Là, le gouvernement expulse les Massaïs par dizaines de milliers pour la sauvegarde de vingt-cinq rhinocéros, l’attraction phare du cratère du Ngorongoro.

Ololosokwan est le village le plus proche d’Arabiya. A notre arrivée les conversations battent leur plein. D’après la rumeur, l’émir de Dubaï en personne doit arriver au ranch dans les jours qui viennent. Sa venue imminente explique la présence d’un groupe d’hommes arabes à l’air sévère, que certains ont aperçu dans un 4 x 4 dépourvu d’immatriculation, à côté de la cafétéria qui borde la route. Visibles aussi, les bérets rouges de la Full Force, la police spéciale de Tanzanie, que la population redoute. Lorsque des figures éminentes arrivent au camp – si l’on en croit ce qu’on raconte ici –, un tapis est déroulé tout le long du chemin qui sépare la piste d’atterrissage de la résidence.


La zone est fermée aux journalistes et aux ONG. Et l’OBC n’a pas cru bon de répondre à notre demande d’entretien. Les villageois, qui ont été avertis par la police qu’ils auraient des ennuis s’ils parlaient de l’OBC à des étrangers, osent cependant nous parler – discrètement – des “Arabes” et de leur bizarre colonisation du district de Loliondo. Ils racontent que, pendant six mois, chaque année, ils sont contraints d’obéir aux managers arabes, qui leur disent où mener leurs troupeaux, et par quel chemin. Si les villageois se disputent avec l’OBC à propos des terres, la police tanzanienne les punit et les frappe.



Les bergers ont commencé à être expulsés en 1959

L’été dernier, un Massaï de 29 ans est mort écrasé accidentellement par un véhicule touristique arabe, selon les autorités. Mais les bergers qui se trouvaient avec lui n’en démordent pas : il s’est d’abord fait tirer dessus, et ensuite le véhicule est passé intentionnellement sur son corps. Et ils ne se fient guère au rapport d’autopsie. Cependant, aucune preuve ne permet de valider leurs affirmations.


L’OBC, de son côté, fait valoir ses actions caritatives. En mai 2009, elle a distribué des sacs de maïs dans le cadre d’un programme de lutte contre la famine, à Loliondo. De plus, pour dédommager certains villages des désagréments causés par la chasse, elle a proposé de verser 25 millions de shillings tanzaniens (près de 13 000 euros) à chacun. Le village d’Ololosokwan, lui, a refusé l’argent. “Nous n’avons pas été consultés lorsqu’on a donné aux Arabes cette zone de chasse”, explique Kirando Ole Lukeine, un des anciens. “Le village ne veut rien avoir à faire avec cela. On nous a dit que nous devions obéir au gouvernement. Mais ce n’est qu’une manœuvre de plus pour nous confisquer nos terres.” Conclusion d’un autre aîné : “Nous nous sentons comme des réfugiés dans notre propre pays.”


La Tanzanie, qui, en 2008, était classée 102e sur 180 sur la liste des pays les moins corrompus du monde, a encaissé 9,3 millions de dollars [6,6 millions d’euros] en 2002 grâce à la vente de permis de chasse. Mais la part qui revient aux communautés des zones qui accueillent les chasseurs est infime. La pauvreté y atteint un des pires niveaux parmi les pays d’Afrique de l’Est.


En Tanzanie, les bergers ont commencé à être expulsés des plaines en 1959, lorsque le gouvernement colonial britannique a transformé l’océan d’herbe du Serengeti – en langue massaï, ce nom signifie “plaine infinie” – en une réserve naturelle interdite aux humains. Le gouvernement a alors passé un accord avec les Massaïs, un accord plutôt honnête comparé à tous ceux qui ont suivi. Les clans ont accepté de quitter la plaine et de s’installer sur les hauts plateaux volcaniques adjacents, célèbres pour le gigantesque cratère du Ngorongoro et ses rhinocéros. Les administrateurs coloniaux avaient expliqué aux Massaïs qu’ils pourraient y vivre perpétuellement, en disposant de l’eau et des herbages à leur guise.


Après l’indépendance, en 1961, le gouvernement tanzanien a créé de nouveaux parcs naturels, ce qui a entraîné d’autres vagues d’expulsions. En 1973, le gouvernement de Julius Nyerere, qui est revenu sur l’accord conclu entre les Massaïs et les Britanniques, a chassé les bergers du cratère. D’après la conception socialiste qu’avait Julius Nyerere de la propriété terrienne, toute terre devait être productive. Or les bergers, même s’ils produisaient la majorité de la viande de bœuf de la nation, n’étaient pas productifs au sens de l’agriculture moderne. Selon lui, ils étaient “paresseux, ingouvernables et sauvages”. Le gouvernement a donc interdit leur langue (elle est toujours bannie des écoles, ce qui explique entre autres le fort niveau d’analphabétisme chez les Massaïs) et leurs costumes. Julius Nyerere est même allé jusqu’à ordonner aux femmes de porter des sous-vêtements.


Le peuple qui possède ces terres perçoit très peu de bénéfices du tourisme. Dans la zone de conservation du Ngorongoro, jamais un de ses membres n’a obtenu le moindre emploi dans les services du parc. Les Massaïs ont seulement le droit de vendre des perles et de danser pour les touristes. De nos jours, 70 % de la communauté vit au-dessous du seuil de pauvreté et 15 % des enfants n’atteignent pas l’âge de 5 ans. Et pourtant, plus de 300 000 touristes visitent leur région chaque année, rapportant au parc géré par le gouvernement la bagatelle de 10 millions de dollars [7 millions d’euros].


L’immensité de plaines et de collines d’Ololosokwan et de Loliondo est l’un des endroits les plus isolés sur terre. Il faut par exemple rouler huit heures en 4 x 4 pour atteindre la route goudronnée la plus proche. L’espace semble donc suffisant pour tout le monde. Mais, en réalité, les Massaïs se retrouvent douloureusement pris en étau entre les parcs nationaux et les terrains détenus par des investisseurs étrangers.

La concession de Dubaï, dangereuse pour les bêtes pendant les six mois que dure la saison de la chasse, ne se trouve qu’à quelques kilomètres du parc national du Serengeti, où la moindre vache égarée sera automatiquement saisie par les autorités. Sans oublier les terres de Thomson Safaris, que l’entreprise a rebaptisées Enashiva Nature Refuge. En massaï, enashiva signifie “bonheur”. Les autochtones ne peuvent retenir un sourire devant une telle ironie. 

Liz McKee, une Britannique responsable de la Tanzanie chez Thomson Safaris, me confie qu’il y aurait des emplois à pourvoir sur le site d’Enashiva, qui doit amorcer ses activités début 2010. Elle me rappelle que les groupes de protection de la nature ne tarissent pas d’éloges envers Thomson et son tourisme éthique. De fait, au début de l’année 2009, la société a été couronnée par le National Geographic comme l’une des dix meilleures entreprises de voyages d’aventure de la planète. Thomson a même sponsorisé une conférence sur le tourisme philanthropique. Liz McKee m’a invité à visiter Enashiva et à interviewer son manager local, Daniel Yamat. Avant de m’y rendre, j’ai demandé à Lesingo Ole Nanyoi, un des bergers des environs, s’il aimerait avoir un travail bien rémunéré dans l’hôtel. “Non”, m’a répondu cet homme grand, à la peau très foncée, solennel et calme. “Ce ne serait pas possible.” La diction de Lesingo est lente et difficile à comprendre. Lors d’affrontements à Enashiva, en avril 2008, lorsque des gardes de sécurité et des policiers ont tenté de confisquer le troupeau de sa famille, il a été touché par une balle de la police, qui lui a brisé la mâchoire. La blessure lui a laissé un enchevêtrement de vilaines cicatrices au menton, et sa mâchoire est encore trop faible pour qu’il puisse mâcher. “La vie d’un Massaï, c’est son troupeau, assure-t-il. Le troupeau nous donne tout ce dont nous avons besoin, notre nourriture, un abri. Arrêter de garder du bétail, c’est mourir !”


Lesingo et d’autres bergers expliquent que des heurts avec les gardes de Thomson, qui ne sont pas armés, éclatent sans cesse. Souvent, les gardiens confisquent des vaches pour une journée. Et lorsqu’ils appellent la police en renfort, les bergers se font arrêter et sont obligés de verser des pots-de-vin pour être libérés.


Les trois villages isolés qui bordent Enashiva ont eux aussi leur lot d’histoires à raconter. Deux femmes nous confient qu’elles ont été battues lors d’échauffourées, il y a deux ans. Toutes deux étaient enceintes et ont perdu leur bébé. Un matin, nous partons avec un membre d’une ONG locale, le Women Pastoralists Committee [Comité des femmes éleveuses], pour les interviewer. Mais, à mi-chemin, la personne qui nous accompagne reçoit un appel de son chef sur son téléphone portable, qui lui dit de faire demi-tour : “C’est trop dangereux !” 


D’après James Lembikas, chef du village de Soitsambu, le respect des limites des terres et la fermeture des chemins de pâturage traditionnels des Massaïs par Thomson ont détruit des vies dans les trois villages adjacents à ses terrains. Jusqu’à 4 000 personnes ont vu leur existence bouleversée. Les enfants ne peuvent plus aller à l’école et un millier de familles ont dû déplacer leurs bêtes vers des herbages excessivement sollicités, près de la limite avec la zone de chasse émirienne. James Lembikas accepte de nous accompagner pour visiter les trois villages délabrés, mais il change d’avis après avoir reçu un coup de téléphone de Daniel Yamat, le manager de Thomson à Enashiva. Nous appelons donc le manager et fixons un rendez-vous au Nature Refuge. Mais Daniel Yamat nous dit d’emblée qu’il ne peut rien nous montrer ni répondre à aucune question. 


Nous n’avons plus qu’à repartir. Mais voilà que nous sommes arrêtés sur la route, dix minutes plus tard, par la police tanzanienne, qui nous emmène au bureau du commissaire du district. Celui-ci nous prend nos passeports et veut nous faire escorter par un policier armé jusqu’à Arusha, la capitale de la région, afin qu’une enquête soit menée. Son secrétaire nous explique que ces mesures font suite à une plainte déposée par Thomson à propos de nos questions. Deux jours plus tard, à Arusha, un responsable de l’immigration finit par nous rendre nos passeports et nous présenter des excuses. “Ces fonctionnaires, là-bas, ils ne connaissent rien au droit. Tout ce qu’ils font, c’est pour des raisons politiques.”


Des militants massaïs sont régulièrement arrêtés et menacés

Un journaliste d’Arusha, qui a eu le courage de couvrir les événements liés à l’installation de Thomson et de l’OBC, nous explique que la seule façon de visiter les lieux est de le faire en secret, une fois la nuit tombée. Il nous avertit par ailleurs que des militants massaïs sont régulièrement arrêtés et menacés. Un chef massaï, qui avait protesté contre Thomson auprès du président tanzanien est décédé alors qu’il était entre les mains de la police. Après sa mort, un journaliste néo-zélandais, Trent Keegan, a interviewé en 2008 des victimes massaïs du service d’ordre de Thomson. Quelques jours plus tard, il a lui aussi été assassiné lors d’un simulacre de vol, à Nairobi. Selon ses proches, sa disparition est liée à son travail d’investigation, mais aucune preuve ne permet d’étayer leurs soupçons.


Lorsque j’évoque notre expulsion du district devant Liz McKee, elle m’assure d’un air catégorique que Thomson ne verse pas d’argent à la police ni aux autorités. “Ça ne rentre pas dans mon budget”, plaisante-t-elle. Et si elle reconnaît que des tensions regrettables existent, elle soutient que les violences ne viennent que du côté adverse. Elle assure aussi que les Massaïs ont lancé des flèches empoisonnées sur des touristes, accusation que Lesingo Ole Nanyoi et d’autres Massaïs contestent fermement. Liz McKee admet que les griefs des Massaïs à propos des terres ont leurs raisons d’être. Mais elle estime que le gouvernement, qui a vendu le ranch à Thomson, est responsable du problème.


C’est près de la frontière kényane, derrière le village d’Oldonyo Sambu, que je fais la connaissance de Habo Gidagurja. Elle fait partie des quelque 1 200 personnes, pour la plupart massaïs, qui ont quitté la zone de conservation du Ngorongoro pour venir s’installer ici. Aux observateurs inquiets de la communauté internationale, les autorités répondent que ces départs sont volontaires. Mais ils ne le sont pas. Les personnes que nous rencontrons disent que le gouvernement a promis l’attribution de terres cultivables (0,8 ha pour chaque adulte), des compensations financières, de l’eau, des toits en tôle pour leurs huttes, une clinique, une école, ainsi qu’un poste de police. L’école est finalement tout ce qu’ils ont obtenu. Mais, comme il n’y a aucun moyen de gagner de l’argent ici, à des centaines de kilomètres des zones touristiques, rares sont ceux qui peuvent contribuer au salaire des enseignants. 


Une chose est sûre : d’autres communautés du Ngorongoro seront envoyées sur ces terres hostiles du nord de la steppe tanzanienne. La lettre d’expulsion a été envoyée à environ 4 000 personnes. Le nombre de nouveaux projets de construction d’hôtels de luxe s’élève à quatorze ! La chaîne d’hôtels de luxe Kempinski est la dernière en date à souhaiter rejoindre les établissements déjà présents. 

Selon la brochure du gouvernement, ces aménagements permettront aux gens d’accéder “à la beauté incomparable de la nature tanzanienne, dans l’un des sanctuaires les plus intacts du monde”. Intact si l’on omet les 40 000 personnes qui auront dû partir pour faire place à 25 rhinocéros et à des centaines de milliers de touristes. 


“Quelle est la solution ?” me demande, désespéré, un jeune militant massaï, dont je préfère taire le nom pour des raisons de sécurité. “Le gouvernement britannique pourrait-il convaincre la Tanzanie de respecter les accords passés il y a cinquante ans ? Le tourisme est une malédiction pour nous aujourd’hui. Pour en finir avec ces malheurs, faut-il que nous empoisonnions les points d’eau ? Faut-il que nous abattions tous les animaux ?”

Alex Renton
février 2010

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